De la Banque de France en banque de la France
En mai 1936, le Front populaire, rassemblement des partis de gauche, remporte les élections législatives et hisse Léon Blum à la tête du gouvernement en tant que président du Conseil afin de mettre en œuvre une politique de réformisme social. La loi du 24 juillet 1936, qui figure parmi les premières lois signées par le Front populaire, entraîne la nationalisation de facto, à défaut d’être encore de jure, de la Banque de France. Si elle reste une banque commerciale détenue par des actionnaires, la principale mesure concerne sa gouvernance. L’assemblée générale est désormais composée de l’ensemble des actionnaires, et plus seulement des 200 plus grands. La composition de son conseil d’administration, le Conseil général, évolue. Ses membres ne sont plus élus par l’assemblée générale mais sont nommés principalement par les pouvoirs publics. Seuls deux restent désignés par les actionnaires et un est élu par le personnel. Il ne s’agit pas d’une nationalisation en bonne et due forme mais d’une étape importante.
La nationalisation de jure est actée par la loi du 2 décembre 1945. À la Libération, le gouvernement provisoire s’inspire du programme économique du Conseil national de la Résistance pour lancer une politique de nationalisation des quatre grandes banques commerciales et de la Banque de France. A la sortie d’une période de crise exceptionnelle, il s’agit d’actionner tous les leviers pour permettre la reconstruction économique et assurer la stabilité monétaire et financière du pays. L’article 1 de la loi prévoit la nationalisation à compter du 1er janvier 1946 alors que le privilège d’émission qui avait été prorogé en 1918 arrivait juste à expiration. La Banque de France continue ainsi d’assurer seule l’émission de billets de banque sur le territoire métropolitain.
L’état devient alors l’unique actionnaire de la Banque de France. Le calcul de la valeur liquidative de l’action de la Banque est organisé afin d’indemniser les anciens actionnaires : « Les actionnaires reçoivent des obligations nominatives négociables délivrées par la Banque, dont la valeur de remboursement est fixée à la valeur liquidative de l'action telle qu'elle sera déterminée par une commission » (art. 2). Une note méthodologique du 15 décembre 1945 (cote BDF : 1064199101 AR 4) détermine les modalités de calcul de cette valeur liquidative. Dans son rapport du 4 avril 1946 (cote BDF : 1064199101 AR 4), la commission présente les conclusions de sa mission d’évaluation. Elle a nécessité le concours de nombreux experts. Deux comptables ont été chargés, par un examen minutieux des écritures, de contrôler, reclasser et interpréter chacun des comptes pour, in fine, établir un bilan faisant clairement apparaître l’actif et le passif. Mais de nombreux biens immobiliers et mobiliers ne figurant pas à leur valeur actualisée au bilan, la commission a dû solliciter l’avis de plusieurs autres experts afin d’estimer leurs valeurs actualisées et les soumettre à l’approbation de l’Administration des Domaines. En ce qui concerne les meubles et les objets d’art, les tableaux et la bibliothèque, la Commission a désigné des experts sur présentation du directeur des Musées de France et de l’administrateur général de la Bibliothèque nationale. Pierre Damidot, expert près du tribunal civil de la Seine, dresse ainsi l’inventaire du mobilier ancien du siège qu’il remet à la commission le 15 février 1946. Dans cet inventaire, dont la première page figure en illustration de cet article, l’expert recense plus de 550 pièces.
En quatre mois seulement, les différents experts mobilisés dressent leurs rapports et la commission les analyse et les compile. Au final, des travaux de cette somme d’experts, la valeur liquidative de l’action ressort de la division du chiffre de 8.537.731.000 francs par le nombre total des actions (191.857) et s’établit en conséquence au chiffre de 44.500 frs. Les actionnaires se voient remettre des obligations à hauteur de cette valeur liquidative. La Banque de France est définitivement devenue la banque de la France.
Pour aller plus loin :
Blancheton Bernard, « L’autonomie de la Banque de France de la Grande Guerre à la loi du 4 août 1993 », Revue d’économie financière, 2014, n° 113, p.157-178.
Margairaz Michel, « La période singulière où la Banque de France s’est nationalisée (1936-1966) », Les Banque centrales et l’État-Nation, Presses de Sciences Po – Mission historique de la Banque de France, 2016, p. 397-450.
Sous la direction de Villeroy de Galhau François et Beau Denis, « La Banque de France pour les nuls », First éditions, 2025, 238 pages.