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La Banque en Alsace-Lorraine pendant la Seconde Guerre mondiale

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Avant la guerre, la présence de la Banque de France dans les deux départements d'Alsace et dans celui de Moselle (Lorraine) était assurée par quatre succursales (Strasbourg, Colmar, Mulhouse et Metz) et cinq bureaux auxiliaires (Haguenau, Saverne, Sélestat, Sarreguemines, Thionville) employant un total de 129 agents.

Dès septembre 1939, certains services sont évacués, notamment les échelons de comptabilité qui partent, avec les agents, vers Rennes (Ille-et-Vilaine), Remiremont (Vosges) ou encore Saint-Jean d’Angély (Charente-Maritime). Ainsi, en juin 1940, tous les services des succursales et bureaux auxiliaires sont repliés vers l’intérieur à l’exception du bureau de Saverne et de l’échelon caisse de Strasbourg qui était installé à Urmatt. Les succursales sont liquidées entre mai et août 1940 sauf Strasbourg qui doit déménager Rue Kuss dans l'ancien bureau de la Société générale Alsacienne de Banque, son immeuble étant, en effet, réquisitionné par la Reichskreditkasse (banque de crédit du Reich, RKK). En octobre 1940, trois collaborateurs sont toutefois délégués à Metz à la demande des autorités allemandes.

Dès l’annexion de ces départements, les Allemands engagent le remaniement du système bancaire français sous la supervision d’un Bankenkommissar (commissaire des banques). Ainsi, les banques françaises sont supprimées et remplacées par des banques allemandes, certains établissements alsaciens et mosellans se maintiennent sous contrôle toutefois. Il est interdit de transférer des fonds vers l’Alsace-Lorraine et les avoirs des clients ayant quitté le territoire sont bloqués. Pour les résidents, les prélèvements sont limités et ils ne peuvent exporter des moyens de paiement et des valeurs. Finalement, le 5 mai 1941, une ordonnance du chef de l’administration civile en Alsace ordonne la suppression du franc français.

Plusieurs restrictions sont imposées à la Banque de France : elle ne doit faire aucune publicité, ne doit avoir aucun contact avec les particuliers et ne doit ainsi faire des opérations qu’avec d’autres banques. Par exemple, si un client possède un avoir à la Banque de France, il ne peut en disposer que par l'intermédiaire d'une autre banque. Une lettre du président de la Police de Strasbourg, datée du 20 août 1940 et adressée au directeur de la succursale de Strasbourg, précise les modalités du maintien de la Banque de France en Alsace-Lorraine : « Suivant les instructions du Chef de l’Administration civile – Service finances et économie – il n’y a aucune opposition à la reprise provisoire de l’activité de la Banque de France, aux conditions suivantes : a) La Banque de France ne doit pas se montrer publiquement. b) Elle ne doit pas avoir à faire au public, mais travailler uniquement avec les banques. Si un client a des avoirs à la Banque de France, on peut les virer à une banque… c) La Banque de France ne peut en aucun cas recouvrer ses avoirs ». Le recouvrement du portefeuille des succursales est autorisé en Lorraine mais interdit en Alsace. La succursale de Strasbourg ne peut donner suite uniquement qu’aux demandes de virement, l’encaisse est insuffisante pour permettre les retraits. La succursale de Metz dispose toutefois d’une encaisse (franc et reichsmark) plus conséquente.

L’activité des succursales est dès lors très réduite pendant la guerre. Aucune activité envers la clientèle particulière n’étant autorisée, elles se contentent donc des opérations d'escompte du portefeuille des banques alsaciennes, du remboursement et prélèvement des valeurs du Trésor français, du paiement des coupons de rentes par l'intermédiaire des banques alsaciennes et des opérations de virements d'avoir particuliers sur les livres de banques alsaciennes.

À Strasbourg, le directeur de la succursale, M. Georges Clément, est le seul dirigeant à être maintenu. Il détaille la vie à Strasbourg sous l’occupation dans une autobiographie intitulée Avec l’Alsace en guerre 1940-1944. Son but premier est d’effectuer les paiements de l’Etat français (traitements, pensions, primes de mobilisation…), il participe également, au printemps 1941, au retrait du franc en Alsace-Lorraine conformément aux ordonnances du gauleiter (chef de district). Le 15 septembre 1943, il est arrêté et emprisonné, avec d’autres représentants français, à Kehl pendant 45 jours avant d’être expulsé d’Alsace. La succursale est reprise par M. Charles Frantz, sous-chef de service, jusqu’à son incorporation forcée dans les Waffen SS en mai 1944. L’administration de la succursale est ensuite assurée par Mme Lina Scheidecker, dame comptable sous-principale, jusqu’en décembre 1944.

Les réouvertures des succursales ont lieu, de fait, en décembre 1944. La visite du Gouverneur Emmanuel Monick, en avril 1945, a pour objectif d’officialiser ces réouvertures. C’est l’occasion d’organiser les premières réunions des conseils après la Libération sous la présidence du Gouverneur qui tient un discours de remerciement par succursales. À Strasbourg, il salue le patriotisme et le dévouement des agents « De ce patriotisme tenace, nous avons connu et admiré de nombreux exemples dans cette succursale même. M. Clément, dont il ne lui déplaira certes pas d’être ici qualifié d’Alsacien de cœur et d’adoption, en a témoigné toutes les vertus jusque dans les geôles hitlériennes. Je tiens à le féliciter et à le remercier devant vous. J’associe à cet hommage tout son vaillant personnel qui, dès les premiers jours de juillet 1940, reprit, dans une installation de fortune, les fonctions limitées mais essentielles que toléraient encore les autorités allemandes. Il devait connaître une longue suite de vexations. De déportations en expulsions, il ne se trouvait plus représenté, à l’automne de 1943, que par M. Frantz, puis, après l’incorporation forcée dans la Wehrmacht en mai 1944, par Mme Scheidecker sur qui reposa, donc, pendant plusieurs mois, la continuité et le renom de la Banque de France ». À Colmar, il insiste sur les dégâts qu’a subis la ville durant les bombardements, les locaux de la succursale ayant été touchés en juin 1940 et sur les nombreuses évacuations des services. « Dès la libération de Colmar et encore sous le feu de l’ennemi, notre succursale a pu réinstaller ses services essentiels. Dans peu de temps, elle aura rappelé à elle les échelons qui ont dû être provisoirement maintenus de l’autre côté des Vosges » ; « Comme tant d’autres, notre comptoir a connu les vicissitudes d’un exode qui l’a conduit à Narbonne, à Toulouse et à Montpellier ». À Metz, il appuie sur l’importance de la relance économique du territoire « Dans son domaine d’action, ce comptoir possède des éléments essentiels de notre industrie sidérurgique. Ses opérations seront influencées par l’activité de ce secteur dont l’importance est aujourd’hui vitale pour toute l’économie française ». A l’occasion de ces visites, les agents de la Banque réinstallent les lettres de la Banque de France sur le fronton des succursales, moment immortalisé à Strasbourg par une photographie présentée ici.

Une délégation aux finances dans les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle (septembre 1944 à janvier 1946) est créée par la Banque de France pour restaurer le système monétaire, relancer les échanges et établir les conversions. Elle est dirigée par M. Bernard de Margerie (septembre 1944 à août 1945) puis M. Pierre Besse (août 1945 à janvier 1946), inspecteurs des finances. Elle établit également des mesures face aux spoliations menées pendant la Guerre, elle participe à la restitution aux détenteurs du prix des biens spoliés et au paiement aux spoliés de toutes sommes indûment perçues (saisies de comptes en banques, ventes de titres…). L’arrêté du 26 août 1946 fixe les conditions d’échange de monnaies allemandes aux Alsaciens et Lorrains rapatriés d’Allemagne sous conditions, ceux ayant coopéré et les engagés volontaires dans la Wehrmacht en étant exclus.

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