Les situations hebdomadaires de la Banque de France, 1840-1998

Présentation de la base de données des situations publiées de la Banque de France, 1840-1998  - Patrice Baubeau, Université Paris Nanterre - IDHE.S (UMR 8533)

En 2001, la Mission historique de la Banque de France a lancé un projet – ANNHIS – consistant à constituer des bases de données historiques issues des archives de la Banque de France. Parmi ces projets, la saisie complète des « situations » publiées par la Banque entre 1840 et 1998 a été effectuée par Agnès Bottex, Olivier Feiertag et moi-même puis j’en ai réalisé la correction et l’agrégation avant de la publier en 2018 sous la forme d’un fichier Excel téléchargeable sur le site de la Financial History Review, avec un article de présentation détaillée de cette base ainsi qu’une revue bibliographique sur l’histoire de la Banque.

Les situations de la Banque de France sont des documents comptables établis dans un but opérationnel : le suivi des opérations de la Banque et l’état de ses grands équilibres bilanciels. À ce titre, les situations sont à mi-chemin entre un bilan et un «tableau de bord», un instrument de reporting, comme en témoigne leur présentation systématique au début de chaque réunion du Conseil de régence puis du Conseil général.

Depuis l’origine de la Banque, ces situations étaient établies tous les jours pour le Siège central et chaque succursale sous la forme d’un bilan simplifié. Ce caractère simplifié signifie que la plupart des opérations initiées mais non encore clôturées étaient agglomérées dans des postes « en cours » ou « divers », tandis qu’aucune opération de révision de la valeur comptable des actifs ou des passifs n’était réalisée. L’agrégation de ces situations locales en situations générales (donc de la Banque de France tout entière) est devenue un enjeu politique et opérationnel à partir du renouvellement du privilège en 1840.

En effet, pour la première fois cette année-là, la loi renouvelant le privilège de la Banque lui impose de publier chaque trimestre une « situation moyenne », c’est-à-dire une évaluation de la valeur moyenne au cours du trimestre de quelques postes généraux. Il s’agit évidemment de limiter le risque réputationnel de la Banque, notamment en évitant de dévoiler le « secret des affaires » ou les échanges avec le Trésor. Cette timide ouverture est peu à peu battue en brèche par les crises et les exigences croissantes de transparence de la part des opérateurs financiers et commerciaux et, à partir de 1848, la publication et la précision de la situation s’accentuent : hebdomadaire jusqu’en 1852, elle descend à un rythme mensuel jusqu’en 1864 avant de reprendre ce rythme hebdomadaire, sauf les interruptions dues aux guerres, jusqu’en 2003, année où elle cesse d’être publiée.

Pendant plus de 150 ans, et notamment jusqu’à la fin de l’utilisation du franc en 1998, la situation de la Banque de France a été l’une des informations financières les plus suivies et les plus commentées, en particulier les postes des avances à l’État, de la circulation fiduciaire (les billets) et des réserves métalliques. Son utilité décroît toutefois après 1971, lorsque les monnaies cessent d’être adossées à un stock métallique pour ne plus dépendre que de règles d’émission.

Malgré la qualité de l’appareil comptable de la Banque de France, ces situations sont d’interprétation parfois difficile, soit qu’elles dissimulent sous des intitulés trop vagues des opérations variées, soit qu’elles placent des opérations délicates dans les postes « Divers », soit enfin qu’elles soient sciemment manipulées, comme ce fut le cas dans l’affaire des « faux-bilans » de 1925, analysée par Jean-Noël Jeanneney et Bertrand Blancheton. En tout état de cause, ces situations représentent l’une des rares séries à dimension macroéconomique disponible à une fréquence élevée et établie par les contemporains eux-mêmes, susceptible d’apporter des indications à la fois rigoureuses et précisément localisées dans le temps. Les historiens économistes l’ont bien compris, qui en font un large usage depuis bien longtemps.

Accès à la base de données et l'article de présentation sur le site de la Financial history review