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La Réserve Fédérale américaine a 110 ans

Courrier de Henry Herman Harjes de la Banque Morgan Harjes et Cie sollicitant un entretien du Sénateur Aldrich auprès du Gouverneur Pallain, 22 septembre 1908

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Les premières banques centrales créées aux États-Unis, la First Bank of the United States (1791-1811) et la Second Bank of the United States (1816-1836) n’avaient pas survécu aux vicissitudes de la vie politique américaine et à l’hostilité à leurs égards des présidents Thomas Jefferson, pour la première, et Andrew Jackson pour la seconde.

Or, faute d’une régulation centralisée du crédit, la période du Gilded age (1863-1913) aux États-Unis voit les crises se succéder. Celle de 1907, déclenchée par une tentative de manipulation boursière sur les actions de la United Cooper, entreprise minière de cuivre, est la plus grave. La chute des cours de la bourse entraine une panique. Les déposants se ruent aux guichets pour retirer leurs économies, les banques ferment les unes après les autres. En l’absence de banque centrale, le banquier John Pierpont Morgan organise en urgence un pool bancaire qui fera office de « prêteur en dernier ressort » fournissant des liquidités aux établissements les plus fragiles. Ces derniers bénéficient également de l’aide du Trésor américain qui apporte des fonds publics et de la New York Clearing House Association qui émet des certificats de prêts supposés rassurer les marchés. Aux yeux des contemporains, cette crise apparait toutefois comme la crise de trop….

De fait, sous la double impulsion, de sénateurs républicains, dont Nelson W. Aldrich, inspirés par les écrits du banquier Paul Warburg et du président Théodore Roosevelt qui juge nécessaire de stabiliser le système monétaire et d'éviter de rester sous la coupe des magnats de la finance, le congrès vote, en mai 1908, la loi Aldrich-Vreeland. Elle est à l'origine de la Commission nationale monétaire chargée d'enquêter sur les causes de la dernière crise et de proposer une réforme du système monétaire américain. Aldrich va présider cette commission. L’une de ses premières actions sera de traverser l’Atlantique et d’étudier le rôle et le fonctionnement des banques centrales et des grands établissements de crédits européens. Ainsi, après s’être rendu à Londres puis Berlin, le Sénateur Aldrich rencontre le Gouverneur Pallain les 24 aout (?[1]) et 26 septembre 1908. Si les archives de la Banque de France conservent peu de documents concernant les modalités d’organisation et de tenue de cet entretien, elles contiennent une publication partielle des questions posées par les Américains et des réponses apportées par le Gouverneur et ses collaborateurs. À noter que cette publication est moins complète - un seul des deux entretiens semble avoir été publié - que celle figurant sur le site de la Fédéral réserve de Saint-Louis.

De ces entretiens européens mais davantage encore des travaux conduits en conclave fin 1910 sur l’ile Jekyll (au large de la Géorgie) par Aldrich avec Arthur Shelton, son secrétaire privé, Andrew Davison, associé chez Morgan, A. Piatt Andrew, professeur d’économie à Harvard, Frank Vanderlip, président de la National City Bank et Paul Warburg naîtra le projet de création d’une banque centrale appelée alors Reserve Association of America.

Il faudra attendre toutefois 1912, et les ajustements au texte portés par des représentants démocrates désormais majoritaires dans les deux chambres et soucieux de limiter l'influence potentielle des plus importantes banques, pour que le rapport de la Commission soit présenté au Congrès américain. Ce n’est qu’en 1913 que le National Reserve Act est promulgué et, sous son nouveau nom, la Federal Reserve est créée. La loi du 23 décembre lui fixe un double mandat : assurer la stabilité des prix et favoriser le plein-emploi, tout en maintenant des taux d’intérêt modérés à long terme. Autre but visé, dans le contexte d’expansion de la puissance américaine, la création de la Fed devait aider le dollar à prendre place sur les marchés internationaux, alors financés en livres sterling. La guerre qui allait éclater bientôt en Europe conduisant à des achats importants en Amérique de vivres, armements et matériaux par la France et le Royaume-Uni, réglés en or, allait de fait conforter très vite les réserves de la Fed.



[1] Cette date figure dans les archives américaines en ligne alors que le courrier de la Banque Morgan conservé dans les archives de la Banque de France évoque une arrivée le 24 septembre.