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La classification des crédits

1069201607 AR 1 Almanach du Commerce de Paris pour l'An XII, annoté de la cotation Banque de France.
1069201607 AR 1 Almanach du Commerce de Paris pour l'An XII, annoté de la cotation Banque de France.

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Au sein du Conseil de régence, un Comité d’escompte composé de quatre régents, est chargé d’examiner la qualité des effets présentés à l’escompte. Pour ce faire, il convient en particulier de bien connaître ses clients. Présentés sous le parrainage de trois personnes connues de la Banque et à la moralité financière sans tâche, ces clients ont en effet au préalable demandé l’ouverture d’un compte courant avec faculté d’escompte. L’ouverture du compte est ensuite approuvée en séance du Conseil de régence. Les effets présentés ensuite à l’escompte doivent eux-mêmes porter trois signatures : celle du vendeur, celle de l’acheteur et celle d’un banquier ou endosseur.

Lors des premières années suivant la création de la Banque, la qualité des régents, eux-mêmes fortement impliqués dans les affaires se traitant sur la place parisienne en tant que banquiers, industriels ou négociants, suffit à connaitre la réputation des présentateurs à l’escompte. Mais la diffusion progressive de l’escompte va conduire à la présentation de papiers relevant de secteurs d’activités plus nombreux et surtout plus variés parfois bien loin des périmètre d’affaires des régents si l’on songe par exemple aux confiseurs ou limonadiers.

La classification des crédits, autrement dit, le niveau de confiance à accorder à tel ou tel présentateur à l’escompte, est évoquée la première fois dans le procès-verbal du Conseil de régence du 22 Frimaire An XII à l’instigation de Jean-Barthélémy Lecoulteux de Canteleu. Ce n’est toutefois qu’au cours du premier semestre 1804 que vont être précisées les modalités et l’attribution de cette classification.

Réunis en Conseil d’escompte le 12 mars 1804, les régents s’attellent à la tâche. « Un travail de bénédictin » écrira à ce sujet Muriel Bordogna dans un article de la publication Cahiers anecdotiques de la Banque de France n°28 qu’elle consacre au sujet. La classification va d’abord porter sur les présentateurs qui, par ailleurs, n’ont pas apporté d’actions de la Banque de France en garantie de l’escompte sollicitée. La méthode d’attribution est précisée dans le procès-verbal: « chaque membre tient une liste des présentateurs. Un autre membre tient celle de tous ceux qui ont un compte quelconque à la Banque. Il se fait un appel nominal, on opine sur chaque individu. Les crédits sont distribués en quatre classes : petit crédit, moyen crédit, bon crédit, premier crédit. On ajoute le signe zéro pour ceux qui ne sont pas connus. Le Secrétaire général en fera une liste pour que les informations soient prises par le comité central et par celui des livres et portefeuilles. On ajoute un sixième signe pour déterminer la nullité des crédits. ». Les six niveaux de classification seront caractérisés par une note allant de 0 pour le crédit « inconnu » à 4, cotation réservée au « premier crédit », ou par une croix pour signaler le « mauvais » crédit.

Cinq nouvelles séances de classification seront nécessaires pour statuer sur les présentateurs déjà enregistrés. Mais à l’évidence, la fortune n’étant pas gravée dans le marbre, une révision tous les trois mois de la cotation attribuée s’impose « pour y faire toutes les additions et tous les amendements dont les circonstances l’auraient rendu susceptible » lit-on dans la séance du conseil du 4 juillet 1804. Ce principe de révision régulière de la classification sera inscrit ultérieurement dans l’article 33 du statut de 1808. L’entrée « classification » du 1er index des procès-verbaux du Conseil général permet de mesurer la régularité et le nombre de séances dévolues à cette tâche.

Un nouvel outil est alors mentionné comme mis à disposition pour la réalisation de ce travail : l’almanach du commerce. C’est celui daté de l’an XII, le seul conservé dans nos collections, que vous découvrez dans les images de ce Document du mois. Il porte les notes manuscrites de la classification accordée aux présentateurs à l’escompte de la Banque. L’utilisation de l'Almanach semble avoir perduré quelques temps puisque la séance du Conseil du 16 février 1815 indique que le Secrétaire général est autorisé « à traiter avec l’imprimeur de l’almanach du commerce pour cent exemplaires qui ne contiendront que la partie commerçante de Paris, en observant de les faire imprimer sur un plus grand papier, afin d’obtenir des marges assez grandes pour y inscrire les notes de crédit de chaque individu ». 

Précisons que ce même travail de classification a été réalisé en 1811 dans les comptoirs de Lyon, Lille et Rouen mais seul le travail réalisé par le Comptoir d’escompte de Rouen nous est parvenu. Le « registre des renseignements » normand qui tient lieu de répertoire de la classification présente la particularité de coter également les industries textiles du Havre, Amiens ou Troyes témoignant ainsi des échanges commerciaux opérés entre ces places.

Aujourd’hui encore, la cotation de la Banque de France demeure une appréciation sur la capacité d'une entreprise à honorer ses engagements financiers à des horizons de un an et de trois ans. La cote du crédit, son nom actuel, comporte pas moins de douze niveaux allant de P pour les entreprises en redressement ou liquidation judiciaire à 3++ pour le crédit excellent.