L'absorption des banques départementales
En dépit de son nom, la Banque de France demeure longtemps la Banque de Paris. Elle ne s’implante en province, dans un premier temps, que via un réseau de 150 correspondants locaux chargés de l’encaissement des effets payables dans les localités où elle n’est pas établie. À l’instigation de Bonaparte, elle se développe toutefois dans les grands centres économiques en étant autorisée, par décret impérial, à ouvrir des comptoirs d’escompte à Lyon, Rouen et Lille entre 1808 et 1810. Ces derniers ne survivent toutefois pas à la chute de l'Empire et sont finalement supprimés entre 1813 et 1817.
Profitant de cette vacance et animées par les milieux d'affaires locaux, des banques départementales remplacent alors ces comptoirs (à Rouen dès 1817, Nantes et Bordeaux en 1818) ou se développent progressivement ailleurs (Lyon et Marseille en 1835, Lille en 1836, Le Havre en 1837, Toulouse et Orléans en 1838). Elles procèdent à l'escompte d'effets de commerce et disposent du monopole de l'émission de billets de banque, libellés à leur nom donc, dans le ressort de leur département.
Prenant conscience de cette concurrence, la Banque de France, aidée en cela par la puissance publique, relance à partir de 1836 une politique de création de comptoirs désormais autorisée par simple ordonnance (à Reims et Saint-Etienne pour les premières) alors qu’il faut une loi pour créer une banque départementale. Les débats tenus dans les deux chambres entre 1841 et 1842 quant à la prorogation des privilèges d’émission des banques départementales, arrivant à échéance par exemple à Rouen en 1842, portent en particulier sur l’unicité de l’émission de billets. Ils sont vifs et resteront ouverts pendant plusieurs années. En témoigne, par exemple, le « résumé » d’une conférence tenue le 21 mars 1845 entre le président du Conseil des ministres et une délégation de la Banque de France conduite par le Gouverneur. « Une institution qui, dans un moment donné, peut sur-le-champ prêter 100 millions au Trésor mérite assurément d’être ménagée et conservée » déclare ainsi le régent Lefebvre. Il faut dire aussi que les résultats financiers obtenus par ces banques départementales commencent à être non négligeables. L'argument de fonds portant sur l’unicité de l’émission avancé par la Banque de France ne cache pas entièrement celui de la défense de ses intérêts privés. La Banque de France force la décision en faisant prévaloir auprès de la puissance publique que les prorogations éventuelles ne devraient plus autoriser les banques départementales à escompter du papier sur Paris : c’est de fait réduire significativement l’activité de ces dernières et relancer les débats.
Ainsi, au courrier adressé en février 1847 par la Chambre de commerce de Bordeaux, soutenant la Banque départementale, au ministre de l’Agriculture et du Commerce qui dénonce « de nouveaux envahissements de cette centralisation parisienne qui tend chaque jour à absorber toutes les forces du pays » répond un rapport du Comte Pillet–Will, régent de la Banque de France : « en un cas de guerre ou autre calamité publique serait-ce les banques locales qui viendraient en aide au gouvernement ?» D’un côté, les uns fustigent ainsi la « Banque de Paris », de l’autre des appels sont lancés pour une « banque unique » ou, déjà, une « banque centrale ».
L’argument de l’aide que la Banque de France pouvait apporter au Gouvernement, notamment grâce aux avances faites au Trésor, emporte la décision. Les décrets des 27 avril et 2 mai 1848 parachèvent l’unicité d’émission en promulguant l’absorption des banques départementales et de leurs personnels dans le réseau des implantations de la Banque de France désormais appelées succursales.
Les archives se rapportant aux discussions ayant eu lieu lors de la négociation de la fusion comprenant notamment la collection des rapports annuels de ces banques départementales sont conservées à la Banque de France. Quelques fonds d’archives de succursales, versés auprès du réseau des Archives départementales contiennent les papiers de ces comptoirs d’escompte (Lyon, Rouen ou Lille) ou des banques départementales les ayant précédés localement (Le Havre, Nantes, Orléans, Toulouse). Un colloque traitera prochainement de ce sujet.